Marty Paich, l’élégance versatile

Nous commémorons ce jour le centenaire de la naissance de l’un des arrangeurs les plus versatiles – dans le bon sens du terme – de l’Histoire du jazz : Marty Paich. Swingueur naturel, élégant parmi les élégants, sa contribution à la cause ne se discute pas.

Certains ont des fourmis dans les jambes, Marty Paich, né à Oakland le 23 janvier 1925, avait des fourmis dans les oreilles. Pour preuve, après avoir bazardé l’accordéon sur lequel il avait vomi ses premières gammes, le tout jeune homme se mettait au piano et montait ses premiers ensembles dès l’âge de 10 ans. Précoce. 2 ans plus tard, son carnet de commandes était déjà rempli : Marty le minot se produisait à l’occasion de baptêmes, de mariages, de bar-mitsvah et j’en passe. Certains ne sortent jamais de la salle de bal. Paich prendra son envol, après une solide formation, au début des années 50 : comme pianiste et surtout comme arrangeur. Là aussi, le carnet de commandes est fourni, de Peggy Lee à Chet Baker, sans oublier Shelly Manne, Shorty Rogers, Mel Torme (dans la seconde moitié des fifties) ou l’immense Mahalia Jackson.

Comme tout arrangeur demandé qui se respecte, Paich a tout de même ses têtes. Art Pepper notamment, pour qui il arrange en 59 la session désormais légendaire + Eleven, plaçant l’altiste au volant d’un petit big band lui obéissant au doigt et à l’œil. De Pepper, Paich disait ceci : « Art représentait pour moi le son West Coast. Il privilégiait une expression mélodique plutôt qu’une expression rentre-dedans à la new-yorkaise. Quand Art jouait, il ne calculait pas. Je ne l’ai jamais entendu se relâcher à aucun moment. C’est pour moi la caractéristique d’un musicien honnête. Et il n’y en a pas tant que ça dans le monde… »* Autre commanditaire vraisemblablement apprécié par Paich : le chanteur Mel Torme. On peut bien penser ce que l’on veut du style velouté – au point d’en devenir parfois écœurant – du crooner de Chicago, c’est bel et bien avec Paich qu’il réalisera ses albums les plus intéressants en 55 et 56 : It’s a Blue World, Met Torme sings Fred Astaire et surtout le remarquable Mel Torme and the Marty Paich Dek-Tette, petit chef-d’œuvre d’élégance illuminé par des solistes en forme olympique (Bud Shank à l’alto, Bob Enevoldsen au trombone entre autres…)

Durant la seconde moitié des années 50, Marty Paich est de fait un peu partout. Pour son compte personnel également – au point de se cacher derrière les cadors de l’époque, comme sur la splendide session Tenors West, réalisée sous l’égide fallacieuse de Jimmy Giuffre et de Bob Cooper (en attestent les compositions Paichence ou At the Marti Gras). L’album illustre à la perfection la versatilité de l’arrangeur, mentionné plus haut. Ce que ne dément pas non plus le programme de l’album I get a Boot out of you enregistré en 59 ; qui offre par ailleurs à Pepper l’un de ses plus enthousiasmants terrain d’expression. Paich mijotait dans son époque et son milieu, niché au sein d’un courant west coast qui affectionnait les défis, le triturage de formes et surtout la diversité. On passait ainsi de la délicatesse quasi-chambriste de Paichence à l’écriture soignée (en contrepied) d’un formidable et sans cesse surprenant Ballet du Bongo, sans jamais oublier de s’ébrouer sur les standards naissants (Line For Lyons) ou de boper, tout en y laissant infuser la touche d’élégance propre au courant – ce qui nous offrit une des réinterprétations les plus réussies du Moanin de Bobby Timmons, pourtant l’hymne hard bop par excellence.

Autre session à considérer (quoique plus programmatique) : Picasso of the Big Band Jazz. 13 musiciens triés sur le volet, dont Paich au piano, et un matériau pensé en suite, essentiellement constitué de compositions personnelles. Le nom de baptême de cet album pourrait faire penser à une approche abstraite ; il n’en est rien. En revanche, le thème pictural est bien présent, avec une conception du Big Band qui évolue par petites touches étudiées, selon des principes de cloisonnement ou de subdivision – principes qui constituent la marque de fabrique de Paich.

Les permis d’aventurier vont se raréfier à l’orée des sixties – en tout cas pour un courant west coast ringardisé par l’avant-garde. Paich se bornera donc à mettre en harmonie des sessions majoritairement mainstreams. En plus de taffer ici ou là pour Hollywood. Il n’en reviendra plus vraiment, travaillant aussi pour la téloche dans les années 70.

La contribution de Paich à la cause mériterait cependant d’être rappelée au plus grand nombre : à travers son élégance naturelle, sa capacité à travailler toutes les formes, et ses innovations réelles dans la conduite du big band, consistant à penser les grandes ensembles comme une organisation savante de petites structures capables, en leur sein, de s’isoler et de placer la lumière la plus délicate sur des solistes qui se sentaient à l’évidence en confiance, et surtout respectés pour ce qu’ils étaient.

(*) Une autre collaboration Marty Paich/Art Pepper est à écouter, dans le cadre plus intime d’une formule quartet avec Paich au piano, Pepper à l’alto bien entendu, Buddy Clark à la contrebasse et Frank Capp à la batterie. Cette session datée de l’année 56 a connu plusieurs éditions. Sur le label Tampa records, sous le leadership de Paich. Mais aussi plus tardivement sous le nom Chile Pepper, sous estampille Charlie Parker records, label fondé au début des sixties par la veuve de Charlie Parker, Doris Parker (**), et le producteur Aubrey Mayhew, afin de contrer le pullulement de bootlegs illégaux du défunt. Actif entre 61 et 65, ce label ne s’est pas donc pas uniquement cantonné à protéger l’héritage Parkerien.

(**) On considère Doris Parker comme la première épouse de Bird. C’est avec Chan Parker qu’il passera en effet les 5 dernières années de sa vie. Sur un aspect purement civil, il s’avère toutefois que Parker n’a jamais divorcé de sa première (et donc seule) épouse. Ceci explique cela.


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