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Giovanni Guidi sous un jour nouveau…

Le son du label ECM est à l’évidence un véritable écrin. Une jolie boite, tapissée de soie rouge. Mais puisque l’on sait désormais que le flacon ne vaut pas l’ivresse (ou un truc du genre), on devine que cet écrin peut s’avérer un piège pour musiciens. Et un vrai : semblable à ces pièges à loup qui se referment parfois sur les guiboles des « têtes-ailleurs » qui ne se souviennent plus les avoir posés.

Il faut donc bien réfléchir avant de poser son pied quelque part. C’est le cas du pianiste Giovanni Guidi qui a apprivoisé le son outrancièrement solennel conçu à la chaine pour le label de Manfred Eicher. Il faut dire que Guidi a de l’expérience en la matière. Collaborateur de choix d’Enrico Rava (sous patronage ECM), il a aussi dirigé, au sein de son propre trio, 3 sessions pour le label (la première en 2013, intitulée City of Broken Dreams, une deuxième volée en 2015, baptisée This is the Day, et enfin, un hommage à la musique de Léo Ferré qui a fait gloser en 2019), auxquels il faut ajouter une œuvre à 4 têtes à la mémoire d’Ida Lupino, confectionnée avec Gianluca Petrella, Louis Sclavis et Gerald Cleaver.

Pour son 4e album, A New Day, Guidi sentait peut-être le besoin de casser la routine d’un trio qui se connaissait peut-être un peu trop. En guise d’intrus merveilleux, le saxophoniste James Brandon Lewis vient donc prêter main forte, histoire de montrer qu’outre ses talents d’aventuriers, l’un des musiciens les plus passionnants de ces dernières années, était également capable de se mettre au service (voire au diapason) de la pensée d’autrui.

Dès son morceau d’ouverture, A new day marque sa différence et l’adéquation de son projet avec l’écrin en question. On ne sait qui a eu l’idée de revisiter ce Canto del Ocells (chant de noël traditionnel catalan, popularisé en son temps dans une version adaptée vers l’anglais par Joan Baez) mais le moins que l’on puisse dire est que c’était une bien riche idée : le quartet ne se laisse jamais happer par la mélancolie d’une mélodie déchirante et profite à plein de cette sorte de matérialisation du silence qu’offre le son ECM. James Brandon Lewis établit quant à lui d’emblée la pertinence de son intégration au trio de Guidi. Et son aptitude à jauger le moule avant de s’y couler. Quoiqu’il en soit, cette entrée en matière, quasi cérémonielle, vous fera glisser sans effort sous la douce lumière du nouveau jour de Guidi.

Le sentiment religieux n’est pas le seul recours du nouveau quartet de Guidi pour plier le son ECM à sa volonté. La composition To a Young Student qui s’ensuit est ainsi un modèle de gestion de l’espace : un peu de moins de 4 minutes pleines de tension, de complémentarités savantes, de gestion des silences et des échos. Une autre approche émerge avec Only Sometimes, composition patiente introduite en duo par le contrebassiste Thomas Morgan et le batteur Joao Lobo : une manière d’aménager des pièces pour les discours intimes de chaque musicien. Ce qui permet à quelques petits miracles sonores de survenir : notamment l’entrée splendide du saxophone de James Brandon Lewis après quelques secondes déclinées solo par Morgan. Phrases Coltraniennes au menu, dénuées de tout cliché – ce qui force le respect.

Le splendide Wonderland achève cette session inspirée et inspirante. Un morceau qui valorise l’unisson cette fois-ci. Sans jamais subir l’ultra-propreté du son maison, le quartet prend ses aises et ne se refuse plus aucun lyrisme. Par effet de simple contraste, la tentative n’échoue pas. Et les merveilles, en effet, ne peuvent qu’apparaitre. Dans la foulée des variations puissantes de Lewis, puis d’un final plein de sagesse mené par un Guidi introspectif, mesurant le poids de chacune de ses phrases.

A l’aube de la quarantaine, Giovanni Guidi démontre ici qu’il est devenu un musicien d’une drôle de stature. Maîtrisant non seulement ce qu’il joue (et ce que l’on joue autour de lui) mais également tout ce qu’il ne joue pas. C’est peut-être ainsi plus qu’un nouveau jour sous lequel il se montre ; mais une nouvelle ère qui commence.

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